Auteur : Heracli Tzafestas

Commentaire initial : Cet article vise à étayer ou commenter la psychothérapie psychanalytique à médiations. Elle est clairement définie au sein du site de PSYCORPS – Ecole Belge de Psychothérapie Psychanalytique à Médiation (1). La définition que le lecteur y trouve est, me semble-t-il, adressée à un public sinon de professionnels, du moins de personnes bien averties. C’est pourquoi j’ai voulu ici communiquer une réponse à la question de ce qu’est une thérapie psychanalytique à médiations, de manière que j’espère accessible à un public plus large et disons profane.

Voici, en synthèse, ce à quoi aboutit cet article:

” Outre la parole ainsi que le rêve et son expression, nous disposons d’autres médiations c’est-à-dire des interventions principalement non-verbales. Elles incluent le toucher, le dessin, le travail corporel, le jeu, l’écriture… Cette approche exprime le projet de pouvoir rencontrer le patient à un niveau archaïque, mettant en jeu des processus émotionnels et corporels antérieurs à la constitution du langage. Pour ce faire, le thérapeute porte aux signaux non verbaux une attention toujours présente, à l’écoute de l’inconscient (ce qui parle en nous, pour nous – dans et par le corps). Donc : là où le psychanalyste classique, en règle générale ne regarde pas le corps et a fortiori ne le touche pas, un psychanalyste à médiations le regardera et osera en parler, voire le toucher – seulement si utile. Mais encore: il sera possible d’écrire ou d’apporter des lettres, des photos,..Ou encore, il sera possible de dessiner ce qui vient quitte à en parler ensuite.”

Si le thérapeute choisit une Ecole théorique, il reste qu’il y a autant de thérapies qu’il y a de couples « thérapeutes-patients »

Un thérapeute choisit une Ecole de référence ou un cadre théorique et pratique qui lui parle, qui le rassure quant au pouvoir d’offrir un lien thérapeutique de qualité, qui stabilise un cadre de travail permettant “de s’y retrouver” et auquel il “croit”. Pourtant, rien d’intéressant ne se passera pour le patient si le thérapeute cesse de chercher la meilleure manière de travailler avec lui ou avec elle. Ainsi, si les thérapeutes possèdent leur “signature”, ils peuvent aussi travailler de manière substantiellement différente en fonction de chacun de leurs patients. Ainsi, ce qui “marche” ou ne “marche pas” en thérapie est largement défini par la qualité si l’on peut dire de la paire ou du “couple” thérapeute-patient.

Que vise une psychothérapie d’orientation psychanalytique ?

Freud disait qu’une psychothérapie (une psychanalyse) vise à ce que les patients retrouvent le goût ou la capacité d’aimer et celle de travailler.

Savoir aimer ou retrouver le goût d’aimer – par exemple: retrouver la capacité de prendre le risque de l’amour… Risque de ne rien recevoir en retour de ce que l’on “offre”… Risque de perdre l’autre lorsque l’on s’y est attaché(e)… Risque d’abimer l’être aimé par des exigences trop fortes… Risque d’être déçu, désillusionné, la lune de miel étant passée, je découvre un autre qui ne correspond en rien à cet être idéal que je recherche de manière si “assoiffée” … Risque d’être soi-même abimé par les exigences de l’autre, sa faim, sa soif… Risque de voir l’autre désillusionné, une fois qu’il ou qu’elle aura découvert qui je suis, au-delà des apparences séductrices,… etc.

Retrouver le goût de travailler c’est par exemple: avoir suffisamment de pêche que pour se lever le matin… Pouvoir persévérer lorsque confronté à une difficulté… Pouvoir travailler au sein d’une équipe – savoir reconnaître, se faire reconnaître (aimer !)… Avoir les idées suffisamment claires pour ce que l’on a à faire… Savoir résister à une autorité lorsqu’on la trouve insuffisamment adéquate… Savoir « vivre avec une telle autorité » par moments puisque l’on ne peut pas changer tout, tout le temps… etc.

De manière plus générale, une thérapie « qui marche » est une thérapie qui offre au patient l’occasion de se sentir plus heureux, plus serein, plus raisonné et « juste » dans ses jugements et ses actions envers lui-même et autrui. Pour certains, une thérapie aide à être plus libres – libres d’eux-mêmes, libres par rapport aux attentes d’autrui… Et pour d’autres, une thérapie aidera à exactement le contraire – disons aider à devenir “moins libres” : par exemple, certains d’entre nous se permettent déjà tellement de choses, qu’aller mieux passe par accepter  de recevoir des limites et pouvoir prendre avec ces limites le bienfait de s’y “caler”, de s’y “lover”, de s’y “réfugier”,… choses qui d’ailleurs, en règle générale apaisent…

L’Ecole Belge de Psychothérapie Psychanalytique à Médiations trouve ses origines dans les travaux de Freud et de Ferenczi

La psychothérapie psychanalytique à médiations telle que définie par PSYCORPS (1), trouve ses origines dans les travaux de Freud et de Ferenczi.

En inventant la psychanalyse, Freud a inventé une thérapie qui parie sur le pouvoir de la parole au sein d’une relation de fort attachement.

Dans le cadre de cette thérapie, le patient est invité à dire tout ce qui lui passe par la tête, ce qui veut dire que le patient est invité à ne pas se censurer : tout élément est important – y compris ce que le patient vit avec, pour,… ressent, pense du thérapeute.

Pour Freud, une thérapie réussie est une thérapie qui a aidé le patient à se remémorer les moments de sa vie qui lui ont enlevé (de) sa capacité à « jouer », à « rêver », à être créatif, inventif, tolérant à la frustration, ouvert à la nouveauté. Ces moments qui constituent des blessures dans la vie d’une personne, sont parfois “très réels”, si l’on peut dire et parfois plus imaginaires (on ne peut pas empêcher quelqu’un de prendre très mal quelque chose que quelqu’un d’autre prendrait sans problème). Ces moments, par ailleurs, peuvent être de véritables événements (il s’est produit quelque chose) ou des “non-événements” (quelque chose ne s’est pas passé).

Pour Freud, et “la psychanalyse”, la répétition constitue le symptôme, constitue en filigrane le “revenir au traumatisme”: le patient revient dans le présent à l’endroit où cela a fait mal dans le passé – sans savoir dire ce qui a fait mal, pourquoi cela a fait mal et d’ailleurs parfois sans savoir que cela a fait mal….

Le symptôme se manifeste de mille manières différentes : se mettre en colère pour un oui ou pour un non; répéter les échecs scolaires; répéter les échecs amoureux (avec une variante : mettre l’amour en échec pour éviter qu’il ne vous mette en échec). Ou encore: attendre au plus profond de soi-même que l’autre vous dise ce qu’il y a à faire, à dire voire à penser (combien il est alors difficile de s’affirmer…). Ou encore, devenir et rester hautain et arrogant pour ne plus toucher à la part faible, dépendante, fragile de soi. Ou encore…

Il est piquant de voir que le symptôme (ce retour à ce qui a fait mal) peut être socialement très valorisé. Par exemple, un vécu profond d’absence de reconnaissance de la part des parents peut produire un succès socio-professionnel à répétition soit une “carrière parfaitement aboutie”… Il restera quant-même la “brûlure” ou l’amertume issue de cette absence de reconnaissance et une sensation lancinante de profonde insatisfaction – même lorsque le monde entier applaudit devant un tel serial success maker, témoignant d’une extraordinaire reconnaissance…

Ferenczi embarrasse Freud…

Donc: si Freud soutient que la guérison passe par la remémoration, Ferenczi met l’accent sur un fait qui embarassait Freud : il y a des événements qui datent d’avant la parole et dans ce cas comment fait-on pour “aller aux souvenirs?” – ces souvenirs qui, accueillis, aident à se délester du passé. Il s’agit de comprendre que sans parole, pas de souvenirs (nommables). Sans mots pour dire, identifier, nommer, extraire, délimiter, border, faire la part,…  pas de souvenirs… Or, au risque de nous répéter, la théorie freudienne énonce que guérir passe par le souvenir dont  le dévoilement et la “percolation” (Freud parlait de « perlaboration ») délestent du passé (2). Donc: si des faits de vie traumatisants oubliés nous déterminent, une fois le souvenir revenu, discuté, parlé… , la répétition se défait. Cela peut se visualiser comme un noeud qui se détend ou comme un noeud que l’on “coupe”  (parfois c’est en coupant que l’on se défait du poids mort du passé…).

Ainsi, Freud était embarrassé par la question de Ferenczi concernant le paradoxe des souvenirs “archaïques”… Mais Ferenczi avance et souligne qu’il y a toujours une mémoire même si elle n’est pas inscrite avec des mots :  elle est inscrite dans le corps et d’une manière d’autant plus profonde que nous n’avions pas les mots pour dire l’évènement ou le trauma “archaïque” (d’avant la parole).

De la remémoration au travail sur les émotions et le ressenti corporel, “ici-et-maintenant”

Ferenczi invente les prémisses une thérapie fort différente : certes, il fait place à la mémoire nominative tout comme Freud. Mais il reste aussi à l’écoute de souvenirs reconstruits à partir de ce qui est ressenti et par le patient et par le thérapeute. Il se permet d’être chaleureux, activement bienveillant avec ses patients. Il se permet de les toucher physiquement si cela peut aider à se mettre des mots sur des émotions voire des sensations corporelles « archaïques ».

D’une part cette manière de faire permet de “reconstruire” les événements archaïques. D’autre part, elle offre la sécurité et la solidité de base dont de nombreux patients on besoin pour pouvoir se risquer au retour sur leur propre histoire.

L’approche “Psychothérapie psychanalytique à médiations” s’origine ainsi dans les travaux de Freud et Ferenczi. Elle s’est ensuite étoffée grâce aux théories analytiques anglo-saxonnes (Bion, Klein, Winnicott) et celles d’auteurs contemporains tels que Stern, Ferro et Roussillon. En quelques mots, qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire qu’avec ces auteurs, nous quittons définitivement le domaine strict de la remémoration des événements douloureux, remémoration qui nous déleste du passé et de la répétition. Nous entrons de plein pied dans une manière différente de travailler : en rétablissant une relation que nous pourrions qualifier d’authentique, saine, valorisante, soutenante, … avec le patient, nous lui offrons l’occasion de vivre une expérience actuelle de qualité en lieu et place des “trous de mémoire archaïques”. Si par exemple, un patient a vécu une expérience traumatisante avec des parents qu’il a vécu comme insuffisamment présents, soutenants, valorisants,… il viendra mettre à l’épreuve le thérapeute à cet endroit précis: il viendra interroger sa capacité à être présent, soutenant etc.  Et ce sera le rôle du thérapeute d’offrir suffisamment de la présence, de soutenance, de valorisation.

Le thérapeute offrira ainsi une présence “juste ce qu’il faut” (il n’a pas à remplacer le parent idéalisé), pour que le tissu de l’être (de l’identité si l’on veut) puisse se reconstituer, là où il y avait “un trou de mémoire”. Les “trous de mémoire archaïques” touchent le tissu, sinon la chair de l’être. Reconstruire la mémoire, c’est se reconstruire à partir de la mémoire du corps même si elle nous parvient par bribes et morceaux.

Nous disposons d’un accélérateur de mémoire et de reconstruction, un cyclotron : les médiations.

La thérapie inclut la possibilité d’utiliser des médiations si nécessaire

Outre la parole ainsi que le rêve et son expression, nous disposons d’autres médiations c’est-à-dire des interventions principalement non-verbales. Elles incluent le toucher, le dessin, le travail corporel, le jeu, l’écriture… Cette approche exprime le projet de pouvoir rencontrer le patient à un niveau archaïque, mettant en jeu des processus émotionnels et corporels antérieurs à la constitution du langage. Pour ce faire, le thérapeute porte aux signaux non verbaux une attention toujours présente, à l’écoute de l’inconscient (ce qui parle en nous, pour nous – dans et par le corps). Donc : là où le psychanalyste classique, en règle générale ne regarde pas le corps et a fortiori ne le touche pas, un psychanalyste à médiations le regardera et osera en parler, voire le toucher – seulement si utile. Mais encore: il sera possible d’écrire ou d’apporter des lettres, des photos,… Ou encore, il sera possible de dessiner ce qui vient, quitte à en parler ensuite.

L’idée restera toujours de faire médiation entre ce qui est inscrit dans le corps et la pensée, en passant par l’émotion. Si le langage constitue à ce point de vue un super-médiateur, quand il vient à manquer, nous disposons alors d’autres médiateurs, d’autres médiations.

 (1) Psycorps est présenté de manière extensive sur son site web : psycorps.org.

(2) Je crains être ici trop caricatural et je l’espère pour des raisons pédagogiques. Freud parle de ces choses dans un article nommé “Répétition, remémoration, perlaboration”, de manière nuancée et éclairée par exemple. Il n’empêche que l’archaïque n’était pas sa tasse de thé.

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